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19 avril 2008 6 19 /04 /avril /2008 13:09


     

Principes et moyens d’une démarche éthique au sein d’un service de dialyse

Les traitements de suppléance rénale sont de véritables traitements de survie. Dans les situations extrêmes ou de grande détresse (très grand âge, pathologies lourdes de pronostic réservé ou à un stade palliatif, démence, refus de soins…) les équipes sont confrontées à de graves décisions. Même dans les cas les moins critiques, l’instauration de la suppléance rénale demeure un bouleversement majeur dans l’histoire personnelle du patient et de son entourage. Dans tous les cas, les équipes de dialyse doivent être préparées à les accompagner dans leur parcours.

 

La réflexion éthique aide à se poser au moment approprié la question « Que faire pour bien faire ?» dans ces diverses situations.

 

Les importants progrès médicaux thérapeutiques et technologiques réalisés depuis plusieurs décennies se télescopent aujourd’hui avec les changements opérés dans l’autonomie des patients au travers de leur meilleure information et de la valorisation accrue de leurs droits. Le principe d’une démarche de soin éthique doit probablement conjuguer de manière équilibrée le principe de bienfaisance, qui a longtemps caractérisé la pratique médicale (le médecin décide ce qui est bien pour le patient) et le principe d’autonomie (le patient est l’expert de sa propre maladie). Le principe de non-malfaisance (le traitement ne doit pas être pire que l’abstention) et le principe de justice (assurant aux citoyens une dispensation équitable des soins) ont aussi leur place. Le dialogue entre toutes les personnes concernées en est le moteur. Ce dialogue passe par la reconnaissance, par les interlocuteurs, de la parole de chacun (en premier lieu du patient), de sa dignité (en se gardant de l’objectifier), et de sa différence (sociale, culturelle, physique, religieuse…)

 

      Pour le législateur (les aspects réglementaires, ordinaux et juridiques posés par la dialyse ne seront pas traités dans ce chapitre) quelques avancées on paru nécessaires ces dernières années, exprimées principalement au travers de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui impose en particulier aux établissements de santé de mener « … en leur sein, une réflexion sur les questions éthiques posées par l'accueil et la prise en charge médicale. » et la loi du 25 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui précise le cadre légal de la prise en charge des patients en fin de vie et de la limitation ou de l’arrêt des soins. On insiste désormais sur l’importance de la pluridisciplinarité, de la collégialité des décisions dans de telles situations, sur la nécessité de placer le patient au centre de la réflexion, de l’informer, (et/ou son représentant légal et/ou la personne de confiance), de la manière la plus claire, et d’assurer une trace détaillée des consultations, réflexions et décisions le concernant dans son dossier médical.

 

Pour le professionnel il s’agit de se demander si la finalité d’un traitement (ou d’une abstention thérapeutique) est acceptable et la technique adéquate (par exemple avec le moins possible d’effets secondaires), et si le geste technique ou la solution proposés (« que faire ») ne se contredit pas avec sa finalité (« bien faire »)

 

La démarche éthique peut s’appuyer sur divers outils complémentaires entre eux:

 

  L’analyse prospective de situations cliniques hypothétiques : l’équipe évoque des cas d’école et les pistes pour les résoudre ; cette démarche pêche par son caractère abstrait mais permet de s’accorder sur l’organisation à mettre en place.

 

  L’analyse rétrospective de situations cliniques réellement rencontrées: elle permet de revenir sur une situation qui a fait problème, basée sur le récit, en se demandant ensemble « que retenir du cas présent si l’on rencontre une situation analogue ultérieurement ? ». Cette démarche justifierait une analyse du récit avec des sujets étrangers au groupe, une explicitation soignée des messages implicites, et une traçabilité écrite. Elle est perturbée par une tendance de chacun à rationaliser, ou à se perdre dans souvenirs imprégnés d’émotion, de présupposés… Elle prend parfois la forme d’un groupe de parole qui aide à surmonter des expériences difficiles.

 

  Le débat collégial sur une situation présente: il permet de désamorcer les incompréhensions réelles ou apparentes, de recueillir les informations auprès des personnes impliquées ou concernées, de faire un point d’étape sur le cas qui pose problème et d’en informer qui de droit, d’en tracer les conclusions dans le dossier du patient. Ce débat doit pouvoir être provoqué par quiconque et si possible au plus près de la situation critique (aggravation clinique imprévue, demande d’arrêt de dialyse, refus de débuter la dialyse…). Une équipe extérieure au service apportant un regard plus neutre et moins chargé d’émotion, éventuellement spécialement formée, peut-être sollicitée.

 

  La participation institutionnelle ou auprès des sociétés savantes ou groupes de professionnels à des formations consacrées à l’éthique : les formations multidisciplinaires, regroupant les diverses catégories professionnelles du service ou de l’établissement de santé, sont à encourager.

 

A l’échelle d’une équipe de dialyse, partager cette dynamique implique du temps et de la disponibilité mais aide à répondre aux questions éthiques qui se posent régulièrement, et, le moment venu, à engager une délibération éthique dans les meilleures conditions.

 

En effet l’objectif d’une délibération éthique est souvent de choisir la moins mauvaise solution au cas qui pose problème :

-         Soit parce qu’il plonge l’équipe dans une impasse morale, aucune des solutions envisagées n’étant au premier abord acceptable,

-         Soit par que s’opposent des convictions éthiques différentes comme celle de la sacralité de la vie et celle du libre droit de disposer de sa personne,

-         Soit parce qu’une situation se trouve devant un vide normatif ou juridique,

-         Soit parce qu’une solution de traitement se contredit avec sa finalité,

-        Soit parce qu’on perçoit un risque de transgresser une règle.

 

La démarche pour une décision éthique peut se décliner en trois temps : l’inventaire précis des acteurs et biens disponibles, la délibération interdisciplinaire, et la décision.

 

I] L’étape d’inventaire

 

o       Des données techniques et scientifiques

o       Des données cliniques

o       Des ressources humaines disponibles

 

Concernant :

§        Le malade :

·        Malade (son histoire personnelle, ce qu’il sait de son état, ce qu’il désire)

·        Maladie (diagnostic précis et stade évolutif, alternatives thérapeutiques disponibles, évaluation de la douleur éventuelle, évaluation de l’humeur, des fonctions supérieures s’il y a lieu)

·        Famille et entourage (connaissance du malade et de sa maladie, acceptation et disponibilité, conditions socio-économiques)

§        Les acteurs du soin :

·        Médecin prescripteur

·        Soignants et autres acteurs

·        Cadre déontologique, légal et lieu du soin

 

La parole du patient est au centre de cet inventaire. Les résultats doivent en être retracés dans son dossier. Les alternatives thérapeutiques et leurs bénéfices et risques respectifs doivent être autant que possible « fondées sur les preuves » et commandées par les guides de « bonne pratique ».

 

II] L’étape de délibération interdisciplinaire est une étape collégiale où la vision subjective de chacune des personnes concernées (car susceptibles de porter le poids des conséquences des solutions étudiées) est soumise à la critique constructive d’autrui :

 

1) Cette étape nécessite du temps, organisé et voulu, permettant de recourir si nécessaire :

 

q       A un « tiers langage » au sens de trouver un langage commun ; qu’entend-on par exemple par « Ce patient désire arrêter la dialyse » ?

§        Est-ce qu’il éprouve une douleur physique et désire qu’on le soulage mieux?

§        Est-ce qu’il éprouve une souffrance morale et désire qu’on l’écoute plus?

§        Est-ce que je n’en peux plus de le voir souffrir, d’être impuissant, que je ne sais pas quoi lui dire ni comment?

 

q       A une tierce personne :

§        un soignant, absent temporairement du service, à qui le patient concerné s’est confié longuement avant de perdre les capacités de s’exprimer

§        le parent qui le connaît le mieux mais qui n’est pas joignable

§        la personne de confiance que le patient peut avoir désignée, comme la loi l’invite

§        un médecin extérieur au service qui aura plus de recul sur le cas posé

 

q       A un tiers temps au sens de prendre si possible le temps nécessaire, de remettre si besoin à plus tard quand la délibération n’a pas abouti, quand les personnes impliquées (dans l’accompagnement qui pourra être organisé, dans le soin douloureux…) ou la famille, n’ont pas été sollicitées, quand le patient n’a pas pu s’exprimer.

 

2) C’est un espace de vraie parole et de parole vraie :

o       Où l’arbitraire (subjectivité érigée en objectivité) est si possible écarté

o       Où chacun doit admettre qu’il n’est pas « objectif », car marqué par ses propres convictions et valeurs

o       Où chaque interlocuteur (« sujet », « subjectif » par nature) soumet son propos à la critique constructive de chacun (intersubjectivité critique)

 

Cette délibération s’appuie sur l’Altérité, c’est à dire la reconnaissance de l’autre, que ce soit le collaborateur (qui a un avis différent sur la conduite à proposer) ou le patient  (au centre de la réflexion) ou son parent:

 

- la reconnaissance de l’existence de son interlocuteur : lui accorder la parole et ne pas l’ « exclure » verbalement

- la reconnaissance de l’équivalence de son interlocuteur : tout un chacun est un sujet et ne doit pas être manipulé

- la reconnaissance de la différence de son interlocuteur : dans sa « vérité » ou ses valeurs

 

3) Cette délibération nécessite une maturation des acteurs du soin et permet un énoncé intelligible par tous des futurs choix possibles; cette maturation implique un auto-travail supposant pour chacun:

 

o       L’implication de soi

o       L’acceptation de perdre ses convictions, ses préjugés…

o       L’acquisition de nouvelles balises, distances ou stratégies…

 

Au terme de cette délibération :

°        Les décisions envisageables ou possibles sont dénombrées, avec leurs conséquences prévisibles (mais il y a des conséquences imprévisibles dont nul ne peut se préserver)

°        La moins mauvaise solution possible est définie en comparant risques et bénéfices, avantages et inconvénients, et en déterminant autant que possible la « valeur promue » en regard des valeurs lésées ou oubliées

°        La conclusion en est détaillée dans le dossier du patient.

 

III] L’étape de décision est la conclusion de cette démarche:

 

o       où la personne qui porte la responsabilité de la décision tranche, cette décision étant partagée par l’ensemble ; ce référent qui est le plus souvent le médecin responsable du service, a cette autorité, mais a besoin d’être éclairé par tous.

o       où sont organisées l’annonce de la décision au malade, avec son consentement éclairé, et des stratégies pour chacun des acteurs.

o       où est programmée la réévaluation, avec nouvel inventaire : par exemple, quelque temps après l’entrée en dialyse d’un sujet au pronostic immédiat incertain et dont on ignore tout.

 

Dans cette démarche, une éthique de conviction (par laquelle les règles l’emportent indépendamment des conséquences de la décision) fait place à une éthique de responsabilité :

 

-         A l’égard des conséquences prévisibles de l’acte posé (pour le patient, son entourage, et les professionnels qui l’ont en charge),

-         A l’égard des compétences de chacun (qui exerce son rôle propre dans le cadre des bonnes pratiques professionnelles),

-         A l’égard des intentions qui portent la solution proposée.


 

 

 Christophe Charasse juin 2007

Références :

JF Malherbe - L'incertitude en Ethique: Perspectives cliniques - Les Grandes Conférences, Editions FIDES, 1996, MONTREAL

JF Malherbe - L'Ethique clinique en situation de pénurie: Un questionnement - Carrefour Humanisation Santé, Editions FIDES, 1997, MONTREAL

JM Gomas - Presse Médicale - 7 avril 2001/30/n°13


Loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ,Titre II ("Démocratie sanitaire"), Article 5, avant le dernier alinéa de l'article L. 6111-1 du code de la santé publique]


Décret 2006-120 du 6 février 2006 relatif à la procédure collégiale prévue par la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires)


Véronique Fournier, Maud Pousset: Bilan d’activité du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin après deux ans de fonctionnement, Presse Med. 2006; 35: 960-6

Marc Guerrier: Clinique éthique et éthique clinique, Presse Med. 2006; 35: 927-9


Manuel d'accréditation des établissements de santé: Deuxième procédure d'accréditation Sepembre 2004, Chaptitre I, Référence 2.2c, p. 26 

 

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